Bon Stock à eu la chance de pouvoir discuter avec Roxanne Casavant, une infirmière qui travaille dans l’industrie du cannabis.
Quelle trajectoire de vie t’a emmenée à choisir la vocation d’infirmière?
J’aimerais d’abord faire une petite mise au point, et je suis contente que tu me donnes l’occasion de la faire! J’ai choisi la profession infirmière plutôt tardivement. Au Cégep, j’étais encore trop immature pour me projeter dans l’avenir. Figée dans l’instant présent, je mettais énormément de pression sur mes épaules, tu vois… Qu’est-ce que je vais faire «pour le reste de ma vie»? Ça me faisait peur de devoir choisir. Et si je me trompais?
Comme si on ne pouvait pas se relever de s’être trompé!
Les années ont passé et j’ai appris à me connaitre. J’ai réalisé que je suis cette personne qui a pour vocation profonde d’apporter de l’aide. Je me réalise en apportant de l’aide autour de moi; ça me remplit.
Quand j’ai accouché de ma fille et que je me suis consacrée à ses soins, à son développement, à sa santé et à son maintien, l’idée a commencé à faire son chemin. Retourner aux études n’était pas une décision facile pour une jeune famille avec un salaire moyen. Et c’est après avoir eu un deuxième enfant que mon projet de retour aux études s’est concrétisé. Pour moi, c’était devenu clair que si je voulais devenir une bonne maman, je devais occuper un emploi qui me nourrirait plutôt que d’avaler le meilleur de moi-même. Je suis donc retournée aux études en 2013, à l’âge de 27 ans.
Devenir maman m’a fait réaliser que ma vocation est d’apporter mon aide. Devenir infirmière m’a donné une profession pour vivre pleinement ma vocation. Je tiens à faire cette distinction parce que le mot vocation n’est plus représentatif des professionnelles que les infirmières sont devenues. Certaines ont la vocation, d’autres non. Mais elles sont toutes des professionnelles. Voilà!
Tu es membre de l’OIIQ depuis…?
Membre de l’Ordre depuis 2017. J’ai travaillé à l’hôpital de ma sortie du Cégep jusqu’à l’année dernière, en 2021.
Comment as-tu atterri chez JMF Growers?
J’étais à la bonne place au bon moment! J’avais besoin de changer d’air. Mon travail à l’hôpital, je l’ai adoré avec sincérité et force. J’y ai vécu des expériences grandioses, importantes, humaines. Et sans exagération, j’ai remercié chaque jour la vie de m’avoir menée sur cette voie. Je me sentais fière, importante. Je sentais que j’avais un pouvoir; celui de faire la différence. Et ça, mon cher Luc, ça nourrissait mon âme!
Et puis, Covid est arrivée. On m’a obligée à bruler la chandelle par tous les bouts. On m’a obligée à devenir une version de moi que je n’ai pas aimée. Ma fatigue et l’incompréhension de la gestion de mon milieu de travail ont épuisé ma flamme. J’ai subi deux agressions qui m’ont ébranlée et je n’ai obtenu AUCUN soutien de mon employeur. Je n’entrerai pas dans les détails, mais la déception fut énorme. L’épuisement a graduellement fait place à la colère et à une grande déprime au gout amer.
Être assis, c’est excellent pour la santé…
quand tu as marché jusqu’au milieu d’une forêt!
Une nuit, une cloche a sonné. J’me suis rendue à la chambre de mon patient, la mort dans l’âme, la colère dans le tapis. Il l’a senti. Il m’a demandé gentiment s’il me dérangeait. J’ai compris que je n’avais plus la force d’être une bonne infirmière dans mon milieu. J’étais comme brisée.
J’ai essayé qu’on réduise mes disponibilités afin de pouvoir me reposer plus et passer du temps de qualité avec mes enfants. J’ai imploré, pleuré. La réponse que j’obtenais, c’est : «on a les mains liées». J’étais obligée de travailler 10 jours sur 14, de nuit, sans compter les TS et les TSO. Être une professionnelle, c’est être imputable. Et pour être imputable, on doit avoir les deux yeux en face des trous.
Un matin, j’me faisais aller le pouce sur Facebook et j’ai lu une publication qui m’a tout naturellement interpelée : «Est-ce que j’ai une infirmière dans mes contacts qui s’intéresse au cannabis?». C’était Cynthia, Mama de JMF Growers. Mais pour moi, c’était une vieille amie du secondaire, et son message piquait vraiment ma curiosité! De garrot en aiguille, je suis devenue la CannabiNurse de Ku.zen.
Comment ça fonctionne, Ku.zen?
Ku.zen est un comptoir de cannabis à des fins médicales sur lequel on peut s’inscrire après l’obtention d’un document médical, signé par un professionnel de la santé. Ku.zen est une pharmacie en ligne de produits du cannabis destinée aux détenteurs d’un document médical.
Les clients, sur notre plateforme, ont aussi accès à mes services et c’est actuellement sans frais. Ils peuvent aussi avoir accès, tout aussi gratuitement, aux services de James, le Directeur de Ku.zen, mais aussi expert en cannabis.
Faut-il être gravement malade pour avoir droit au cannabis pour se soigner?
Gravement malade… La formule me rend inconfortable. Gravement, c’est subjectif. Comme chaque expérience est personnelle à chacun, il ne nous appartient pas de décider si une personne est gravement ou assez gravement malade.
Ma réponse est non. Faut-il être gravement atteint de dépression pour avoir droit aux antidépresseurs? Faut-il être gravement atteint d’hypertension artérielle pour avoir droit aux antihypertenseurs? Faut-il être gravement atteint du Trouble du Déficit de l’Attention pour avoir droit aux Ritalin, Concerta, Vyvanse? Faut-il être gravement insomniaque pour avoir droit au Zopiclone?
Tous les citoyens canadiens ont le droit d’être soignés. Le cannabis est un traitement moins conventionnel, mais il ne discrimine pas. Le cannabis s’est avéré utile et aidant pour plusieurs personnes avec toutes sortes de conditions médicales, graves ou pas. Et qu’on soit gravement malade ou pas, améliorer sa qualité de vie, c’est toujours pertinent!
Comment obtient-on une prescription?
Pour obtenir un document médical donnant accès aux commandes en ligne de produits du cannabis à des fins médicales, on doit d’abord rencontrer un professionnel de la santé. C’est encore assez peu fréquent, mais il arrive que ce soit le médecin de famille qui prescrive. C’est plutôt rare, surtout au Québec, mais ça arrive. Le plus souvent, notre patientèle passe par une clinique privée de cannabis.
En ce qui concerne Ku.zen, notre clientèle peut passer par notre site internet pour accéder à une consultation médicale. À partir de notre site, on peut accéder à un formulaire à remplir qui est ensuite acheminé à la clinique Cover Leaf. L’équipe de Cover Leaf contacte le requérant afin de planifier une vidéo-consultation avec un professionnel de la santé. Lorsqu’un document est signé, la clinique nous le retourne afin que nous complétions l’enregistrement sur la plateforme.
Pour s’inscrire sur Ku.zen, on peut donc passer par la consultation avec la clinique Cover Leaf, mais nous avons aussi des clients qui ont passé par d’autre cliniques et qui, sur demande, atterrissent chez nous. Les patients sont tous les bienvenus et ont accès aux mêmes services.
On peut avoir de l’aide si l’informatique est un problème?
Bien sûr! Sur notre site web, un clavardage est disponible afin d’aider les personnes qui rencontreraient des difficultés avec la navigation. Cela dit, l’informatique, dans le cadre d’un comptoir virtuel, est parfois incontournable. Il faut ouvrir un compte et y entrer ses informations de contact et ses coordonnées. Une fois le compte ouvert, je peux aider des gens à passer des commandes selon leurs préférences.
Cela dit, la requête de paiement se fait par l’informatique. On peut le contourner, mais pas complètement. L’aide, cependant, est toujours disponible. Dès le premier contact, j’offre mes disponibilités et les différents moyens pour me contacter.
Comment puis-je continuer d’informer mon médecin?
Les dossiers de nos clients comportent majoritairement assez peu d’informations, à moins que ces derniers n’aient eu recours à mes services, où une note détaillée de notre rencontre est enregistrée au dossier. Ces données sont bien sûr confidentielles, mais un patient pourrait demander que l’on fasse parvenir son dossier à son médecin. Je crois d’ailleurs que c’est une excellente idée de le faire.
Dans tous les cas, ayant eu un entretien ou non avec moi, si un patient souhaite acheminer ses informations à son médecin traitant, il est possible de le faire.
Une autre pratique que je trouve intéressante pour bien informer son médecin de son traitement est de tenir un journal de consommation en y entrant les quantités consommées, les effets ressentis, la durée d’action, une autoévaluation pour chaque dose et tout ce qu’on peut trouver pertinent d’y ajouter.
Quel rôle les infirmières peuvent-elles actuellement jouer dans l’industrie du cannabis?
J’irais avec une réponse toute simple : celui d’infirmière! L’accompagnement dans l’initiation du traitement, l’enseignement d’une multitude de concepts, la réduction des méfaits, la relation d’aide, l’écoute, l’évaluation, la communication avec le prescripteur, l’autonomisation… et j’en passe!
L’infirmière, comme dans d’autres milieux, est une excellente intermédiaire entre le corps médical et le patient. Elle est aussi un acteur de première ligne accessible.
Une infirmière peut aider juste pour le cannabis médical?
Une infirmière peut aider dans tellement de milieux. La santé, c’est large! Je crois que l’infirmière peut aider dans tout ce qui touche de près ou de loin la santé. L’infirmière, dans l’industrie du cannabis, ne parlera sans doute pas que de cannabis. Beaucoup de personnes qui souffrent de conditions médicales ne consomment pas que le cannabis pour les aider; ils ont aussi d’autres médications plus traditionnelles desquelles on peut parler.
L’infirmière fait la promotion de la santé globale. C’est pas mal plus large que juste pour le cannabis médical. Il peut arriver, dans certaines situations, qu’on lève le drapeau, qu’on valide les bons coups, qu’on enseigne des principes non maitrisés… J’utilise mon jugement et mes connaissances au service des besoins de mes patients. Ça peut prendre des tonnes de formes!
Avec le recul que te confère ton expérience pratique, quels sont les concepts les moins bien compris par les usagers de cannabis?
Comme tu en as parlé lors du Pot Flânage de toPot #126, l’effet biphasique du cannabis est, selon moi, ce qui est le moins bien compris par les usagers du cannabis. On peut lire, un peu partout : «Start LOW and go SLOW», ce que j’ai traduit par «Commencez DOUCEMENT et allez-y GRADUELLEMENT». Pourquoi? L’effet biphasique.
Pourquoi opter pour de petites doses? Les petites doses servent d’abord à sensibiliser le SEC à la substance. Une augmentation légère et graduelle avec une bonne autoévaluation des objectifs visés permettra de trouver un dosage adapté à soi, le dosage dit thérapeutique.
Mais c’est aussi parce qu’une dose trop élevée aura possiblement l’effet inverse. Dans le cas de l’anxiété, certaines études suggèrent que de petites doses auraient un effet de diminution de l’anxiété et d’amélioration de l’humeur, alors que des doses élevées auraient plutôt des effets anxiogènes et de détérioration de l’humeur.
Commencer doucement permet de trouver son bon dosage personnel, sa dose thérapeutique, sans dépasser cette dose et tomber dans les effets adverses.
Quelle est la propriété du cannabis la plus sous-estimée?
Je crois que ce serait sa capacité de diminuer la taille de sa pharmacie personnelle. Je crois que le monde médical néglige cette propriété du cannabis qui est de permettre, pour certain sujets hauts-répondeurs aux cannabinoïdes, de diminuer la quantité de médications dite traditionnelle. Le cannabis a une propriété qui le distingue de beaucoup de médications traditionnelles : il est très avare d’effets secondaires! Et ça, ce n’est pas rien!
Pour bon nombre de personnes qui souffrent de conditions médicales et qui doivent prendre de la médication sur une base régulière, s’ajoutent d’autres médications pour contrer les effets secondaires des premières. Le cannabis, pour certaines personnes, permet de freiner ce cercle pharmacologique infernal. Pour certains, il permet même de diminuer la prise de médicaments ou encore de complètement la stopper!
Bien sûr, le cannabis ne fait pas tout! Plus d’un élément est à considérer quand on parle de santé. Le cannabis peut cependant être une avenue intéressante pour diminuer la polypharmacie devenue banale aujourd’hui.
Et le futur? L’infirmière peut-elle prendre plus de place dans l’industrie?
Non seulement je crois que oui, mais je crois aussi que l’industrie du cannabis à des fins médicales ne pourra pas s’en passer longtemps. S’il est vrai que le cannabis puisse être un traitement, il est aussi vrai que le traitement requiert un suivi. Et les infirmières ont certainement la capacité d’offrir un suivi de traitement individuel adéquat pour la patientèle du cannabis à des fins thérapeutiques. Je crois même que l’infirmière est un élément clé pour l’intégration, l’acceptation et l’amélioration du cannabis comme traitement médical au Québec.
FIN
Photo principale et «pieds nus» de Isabelle Otis. Photo automnale de Dalí A. Traoré